L'émoi des mots, l'écho des photos

Ce que mes photos disent de moi...

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« L’horizon imaginaire qui anime toute entreprise photographique
est le désir de constituer une image du monde
où se donne à voir sa propre présence. »
Serge Tisseron



« Y a pas photo  !  » Que si ! C’est même devenu un geste quasi compulsif. D’une compulsion généralisée. Que celui qui n’a jamais pris une photo lève le doigt. Mise en quarantaine garantie. Tant la pratique est universelle, aussi répandue que des touristes japonais Canonisant la tour Eiffel. Face à une telle hémorragie d’images, comment encore prétendre à une forme d’originalité, à l’écart de cette congestion de clichés ? Et des clichés, souvent réchauffés, voire calcinés, nous n’en manquons pas. Sur les réseaux dits sociaux, par exemple. Où de doigts de pieds en éventail en plats mijotés en passant par l’obligatoire selfie ou le québécois égoportrait, on atteint vite la saturation de la banalité. La molette de la conformité en vient à ressasser en rond.

Mon projet a été de composer des « définitions » de l’acte photographique : « Photographier, c’est… » Définitions qui, en fait, n’en sont pas vraiment. Et d’associer cet exercice de style à des photos. Mes interprétations toutes personnelles de la photographie sont issues de ma pratique d’amateur et de mes lectures, avec pour ces dernières une mention spéciale à l’ouvrage de Serge Tisseron, Le mystère de la chambre claire, photographie et inconscient [1].

Les différents thèmes sont évoqués sans prétention théorique ou scientifique et n’ambitionnent pas davantage d’être applicables à toutes les photos ni à tous les photographes. Certains propos pourront même paraître contradictoires. C’est bien le moins qu’on puisse concéder à la diversité des situations, des humeurs du photographe, des objets photographiés. L’objectif n’est pas ici de livrer un dictionnaire ou un mode d’emploi de la photographie, mais plus modestement une vision personnelle. En espérant que celle-ci invite à une introspection féconde qui croise, rencontre celle du lecteur et entre en dialogue avec elle.

Ce serait en vain que ce dernier, attentif, chercherait une structure quelconque dans la succession des propos. Point d’ordre donc. Et cet apparent bric-à-brac fait écho à l’imprévisibilité des questions qui assaillent le photographe en situation tantôt techniques, tantôt esthétiques, souvent psychologiques, parfois morales… quand ce n’est pas un subtil cocktail de chacune d’entre elles. Dans le même (dés)ordre d’idées, la photographie –  multiple par nature – sera traitée selon une diversité de tons : sérieux ou plus léger, affirmatif ou interrogatif ; cette dernière option à dessein de faire participer le lecteur. Aussi, s’il fallait lui suggérer une posologie de lecture, celle-ci se révélerait assez tempérée. Un peu comme on déguste un ballotin de chocolats : en quantité suffisante pour en apprécier le goût et le conserver en bouche un certain temps, modérément pour éviter l’indigestion.

Souvent, dans les livres réunissant photos et textes, les seconds commentent les premiers. Pour ma part, la démarche fut très majoritairement inverse : les mots ont précédé le choix des images… sauf à penser qu’ils étaient déjà reliés à l’avance par l’inconscient. Chronologiquement, c’est donc après l’écriture des textes que j’ai recherché des photos qui pouvaient les illustrer, les compléter, les évoquer de manière parfois allusive ou métaphorique. En quelque sorte, les photos, par un jeu de renversement de rôles, font office de légende des textes. Pas nécessairement pour indiquer ce qu’il faut comprendre, mais davantage pour ouvrir l’une ou l’autre porte d’interprétation dont la responsabilité incombe au lecteur.

Ces ricochets mentaux sur les photos ou les textes seront alors comme autant de ronds dans les eaux de l’analyse ou de l’imagination. C’est de la sollicitation de ces jeux d’idées et de sentiments que peut germer une forme de singularité. En plaçant côte à côte images et mots, je souhaite dépasser la simple juxtaposition pour favoriser l’interaction. Celle que me prêtera le lecteur en se livrant, même à son insu, à quelques associations, comme le suggèrent les psychanalystes. Et ces rapprochements, entre émotion et réflexion, seront à coup sûr inédits. Certains photographes l’affirment : ce qu’une photo dit, c’est ce qu’elle ne montre pas. Alors, ami lecteur, alliez, combinez, conjuguez, reliez… Et peut-être pourrez-vous ainsi affiner votre conception personnelle, « Photographier, c’est… » et, lors d’une prochaine photo, « donner ainsi à voir encore davantage votre propre présence ».

François Tefnin


[1] Serge Tisseron, Le mystère de la chambre claire, photographie et inconscient, Flammarion, 1996.

Photographier, c'est...
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