[Texte présenté au concours d'écriture organisé à l'automne 2024 par quatre libraires verviétoises - Les Augustins, MarcPage, Pouce et compagnie, La Petite Librairie) qui imposaient chacune trois mots à placer dans une texte d'une page sur un thème libre. ]
Loin des campus où l’insouciance réveille parfois des fantômes à la vitesse de l’inconscient, une pluie de mots s’est abattue sur ce village où le commérage cultive la fantaisie, tel un clapotis en mouvement.
Oui ! Cela, c’est fait, s’introspecte Augustin. Les Augustins sont d’inlassables bosseurs. Vite fait, bien fait. Placer douze mots dans un texte. La consigne d’un concours. Et voilà le travail ! Débarrassé – croit-il – de la contrainte, Augustin se la joue naïf comme un accro aux réseaux asociaux convaincu que les influenceurs de tout poil, du trop-plein de leurs incompétences, nous veulent du bien. Il s’est persuadé d’avoir reconquis une liberté ravie par la règle imposée.
Mais, un texte ne se satisfait pas d’une phrase, objectent délicatement Béatrice, Caroline, Jessica et Virginie, quatre mousquetaires de la librairie verviétoise, à l’initiative de cette joute d’écriture. Titillé, Augustin reprend la plume à bras le corps là où sa compilation resserrée l’a mené. Au bord du ruisseau. Heureusement, y avait-il laissé un MarcPage ! De la berge de son imagination, il tutoie un flot de mots en cascade. Mais comment les couler en une histoire ? Ou peut-être, un poème ? Une lettre ouverte ? Une déclaration d’amour ? Un portrait… ? Traquer l’inspiration dans La Petite Librairie que constitue sa bibliothèque ? Ou alors, en quel lieu secret, dénicher un indispensable coup de Pouce… et compagnie, si affinités ?
Dans l’ébullition de son cerveau, Augustin brasse ses questions, ou plutôt, il les crawle, tant elles déboulent à la vitesse de l’éclair d’une lucidité qui, pour l’instant, lui fait défaut. Doit-il aligner ses mots tels des menhirs imperturbables à l’usure des ans ou plutôt les abandonner au gré d’un ruissellement imprévisible ? Faut-il adopter une langue qui frappe, qui rape ou qui dérape ? Peut-il laisser ses mots tanguer au point d’infliger le tournis au lecteur qui, ingénieux, tenterait de lire entre les lignes ? Question pratique : azertyser à tout va à l’ombre d’un clavier hospitalier ou épancher des pleins et des déliés sponsorisés Montblanc ? Prétention affichée d’être à la page, il hésite à solliciter l’intelligence artificielle, mais revient vite à de meilleurs sentiments, convaincu que le fatras de données empilées dans les nuages ne rivalisera jamais avec le potentiel des sinuosités qui se disputent son esprit. Son esprit, parlons-en : que dit-on de soi quand on écrit ? Que laisse-t-on paraître de ses tourments, de ses euphories, de ses perplexités devant des interrogations dont on perçoit qu’elles ne nous feront que rarement l’amabilité de laisser entrevoir l’amorce d’une réponse ? Question subsidiaire : que dit-on à l’autre et qu’en reçoit-il, cet autre imaginaire, quelquefois imaginé, mais toujours insaisissable ? Quelle folie de se jeter ainsi, la tête la première, vers un inconnu, même pas illustre ! En quelque sorte, un lecteur quidam… qui dame le pion des intentions de l’auteur avec ses propres desseins, parfois à mille lieues des premières. Augustin voudrait se payer une note de bas de page pour préciser son projet, affuter ses arguments. Mais il connaît la vanité de cette délocalisation en contrebas d’un propos voué à passer inaperçu par des lecteurs rarement enclins à s’infliger l’emprunt d’un ascenseur binoculaire pour un aller-retour supputé de peu d’intérêt.
Augustin ne sait plus où donner de la tête, lorsque, soudain, cette question lui traverse l’esprit : quand on écrit, c’est après quoi qu’on court ? « Qu’on court… ? » Un écho : concours ! Caramba, je l’avais oublié celui-là, s’estomaque un Augustin décontenancé. Tant pis, ce sera pour la beauté du geste. Décidément, comme au temps, déjà loin, du campus de ses études inabouties, son insouciance et sa fantaisie lui joueront toujours des tours. Et surtout des détours. Au point d’abreuver le commérage alentour. Reste ce petit village de son enfance où, même sous la pluie, il convoquait quelques fantômes pour accompagner sa contemplation du mouvement du ruisseau qui, sans excès de vitesse, lui susurrait son clapotis. Oh oui ! Un clap de fin bercé par un clapotis. Ce n’est pas si mal, tout compte fait...
François Tefnin