Avant-propos

 


Le texte présenté ici a pour objet la transmission entre parents et enfants envisagée dans ses aspects psychologiques, sociaux, politiques… Il fait suite à un premier ouvrage consacré au séjour de ma mère dans une maison de repos pendant les cinq dernières années de sa vie. Au-delà de la narration de cette expérience, ce récit avait pour objectif d’interroger le processus par lequel les enfants deviennent, en quelque sorte, les parents de leurs parents. 


Dans cette publication-ci, on en revient à la situation où les parents tiennent leur rôle de parents et les enfants celui d’enfants. La question est traitée du point de vue de ces derniers et peut se résumer ainsi : qu’est-ce qui «passe» entre un père et son fils – ou plus exactement, qu’est-ce qui est perçu de ce qui passe et de la manière dont s’opère cette transition? En effet, il (se) passe toujours quelque chose, car un fils ou une fille n’échappe pas à l’expérience de la transmission. D’où la double signification du titre : De père et fissures qui peut également s’entendre De père en fils? Sûr! Ce parti pris ne préjuge évidemment en rien de ce que les enfants feront de l’héritage : reproduction, dilapidation, inspiration… toutes les formes de traitement sont ouvertes. À eux d’en décider… autant qu’ils le peuvent. 


Pour étudier cette possibilité, les quatre premiers chapitres du livre s’articulent chacun autour d’un verbe : Savoir, (Faire) rire, Photographier, Se dévoiler. Forme grammaticale qui exprime une action, un état ou une relation, le verbe – à condition qu’il soit significatif pour celui qui s’en empare – permet d’explorer des événements, des situations, des expériences, des anecdotes… dans lesquels le père tout d’abord, le fils ensuite, ont mis en œuvre ces verbes. Comment chacun les a-t-il «interprétés», dans le double sens de «compris» et «joués»? Dans une troisième partie de ces chapitres, il s’agit de repérer les ressemblances et les différences entre ces incarnations et de tenter de clarifier comment on est passé des unes aux autres. Enfin, ces chapitres se terminent par un contrepoint : puisés dans les univers du cinéma, de la littérature, de l’humour, de la chanson…, ces contrepoints illustrent le thème évoqué pour l’aborder dans une perspective décalée.


Après avoir suggéré que l’exercice d’introspection entamé dans les premiers chapitres à partir d’exemples singuliers peut se poursuivre à volonté, le chapitre suivant, Les gens heureux…, interroge la pertinence de cette démarche de réflexivité face aux «malheurs du monde», a fortiori quand on en est tenu à distance.


Le chapitre, S’appeler, invite à comprendre ce que le choix d’un prénom dit du point de vue de la transmission, de la volonté des ascendants et de leur projet «sur» leurs descendants.


Avec Transmettre et De père en fissures, nous revenons sur le processus de transmission pour envisager comment traiter nos loyautés par rapport à l’héritage et comment négocier un virage personnel afin de devenir progressivement le sujet de notre propre histoire. Pour opérer cette réorientation, outre d’en percevoir le cheminement, il convient de repérer les médiateurs qui ont permis et, peut-être, permettent encore cette transformation.


Le dernier chapitre, Écrire, questionne l’écriture pour saisir comment elle participe à cette démarche d’élucidation des voies de la transmission. Cette confrontation à un autre nous-même nous oblige à clarifier les fonctions exercées par le geste d’écrire, le rôle que nous attribuons aux mots, les liens entre le fond et la forme, des liens qui, pour être intelligibles, sont toujours à rapporter aux influences familiales et sociales vécues et intériorisées… Sans oublier de préciser la place des destinataires du texte et le rôle joué par le lecteur dans son élaboration. De ce point de vue et comme l’indique l’exergue, ce livre ne trouvera son véritable intérêt que dans la mesure où le lecteur acceptera de reprendre l’exercice à son propre compte.


François Tefnin


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