Les idées reçues à l'école

Quand les imaginations battent en retraite, les idées reçues peuvent se déployer dans le champ du débat et y tenir lieu d'argument. D'autant plus facilement qu'elles s'avèrent commodes par la dispense de penser qu'elles nous concèdent. Cette économie de matière grise se double d'un rassurant sentiment d'appartenance. Même si c'est le plus souvent à la grande communauté de la majorité anonyme. Quand bien même elles auraient une connotation négative, il nous est toujours loisible de prétendre qu'elles n'appartiennent qu'aux autres…
Mais au fait, elles dont l'appellation même traduit à merveille une logique de l'apprentissage fondée sur la transmission, que deviennent-elles dans une approche davantage centrée sur la construction des savoirs?



Le mystère de l'idée reçue

C'était il y a très longtemps. Dans un pays très loin d'ici, vivait un enfant prénommé Désir. L'histoire n'a pas retenu s'il s'agissait d'un garçon ou d'une fille. Sans doute cela n'a-t-il pas d'importance. Du moins pour notre propos. Un beau jour – ou plutôt une nuit –, un esprit lui apparaît en songe. L'esprit lui annonce qu'à son réveil, il trouvera au pied de son lit un minuscule colis. Celui-ci contiendra un message sous la forme d'une idée scellée dans un tube de verre. Il lui est interdit d'ouvrir le paquet. De toute façon, ses éventuelles tentatives seront vaines: l'idée demeurera invisible à ses yeux. Sur l'emballage, il trouvera trois adresses auxquelles il devra se rendre. Les différents destinataires devront prendre connaissance du message. Ils lui rendront à chaque fois le colis qu'il conservera soigneusement jusqu'à nouvel ordre.
Un rayon de soleil impatient réveilla préventivement l'enfant. Conformément aux indications, il découvrit l'objet de sa mission. Une fois l'idée reçue, il se mit aussitôt en route vers le domicile de son premier destinataire. Il s'agissait d'un grand homme chargé pour tout le pays des questions d'éducation de la jeunesse. Il habitait une vaste demeure austère sur laquelle il avait fait graver en lettres d'or son nom et sa fonction. Il reçut l'enfant de manière affable et découvrit le message avec un brin de condescendance. "Vois-tu, lui dit-il, je dispose de peu de temps pour marquer de mon empreinte le passage dans mes fonctions." Comme l'enfant ignorait l'idée qui l'amenait à réagir ainsi, il ne fit pas de commentaire et partit vers la deuxième adresse.
Les coordonnées étaient maintenant celles d'un haut fonctionnaire qui présidait aux destinées d'une commission chargée d'étudier depuis trente ans les rythmes scolaires. "Voilà un personnage sympathique", observa pour lui-même Désir. En effet, il fut chaleureusement convié à pénétrer dans un logis élégamment décoré. On lui servit de délicieuses boissons et des pâtisseries les plus fines. L'enfant en vint presque à oublier la raison de sa visite. Quand finalement il demanda à son interlocuteur de prendre connaissance du message, celui-ci eut un moment d'arrêt avant de retrouver un sourire qui n'était plus le même. L'homme s'abstint de toute remarque. L'enfant prit congé en remerciant son hôte pour son accueil.
Sur la route de sa troisième destination, l'enfant dut s'avouer qu'il avait abusé des gâteaux et autres friandises. À force d'obstination, il arriva péniblement chez une dame qui apprenait à lire, écrire et calculer aux enfants de son village. Au-dessus de sa porte étaient sculptées les lettres du mot "liberté". Elle n'apprécia que modérément qu'un quidam lui transmette un message dont elle redoutait qu'il ne constitue une injonction. Elle découvrit donc l'idée dissimulée dans le colis avec circonspection. Elle parut étonnée et s'y reprit à deux fois pour s'assurer d'avoir bien compris.
De retour vers sa maison, Désir ne pensait plus au colis qu'il avait remisé au fond d'une poche. Soudain, il croisa sur son chemin un vieillard barbu qu'il salua poliment. "D'où viens-tu jeune homme?", lui demanda le patriarche. Très fier de cette maturation précoce, l'enfant raconta son périple et l'objet de son mandat. "Et tu n'as pas cherché à savoir ce qu'était cette idée reçue de l'esprit?" Partagé entre la fierté d'avoir respecté son engagement et une recrudescence de sa curiosité, Désir avoua son manque d'investigation. En même temps, il sentait chez le vieux une invitation à transgresser l'interdit. "Tu possèdes en toi-même un troisième œil", lui lança pour tout au revoir le vieillard qui poursuivit sa route.
Intrigué par cette remarque, Désir ouvrit le colis et saisit fébrilement le cylindre de verre qui, à première vue, était totalement transparent. C'est alors que l'enfant se rappela que quelques années auparavant, il avait reçu pour son anniversaire des cartes postales qui recelaient des images en trois dimensions. Il essaya de retrouver le regard qui lui avait alors permis de découvrir les objets cachés dans les illustrations des cartes. Il lui fallut un certain temps pour retrouver une vision que le manque d'entraînement lui avait fait perdre. Plissant les yeux dans un mouvement difficilement descriptible, Désir vit soudain éclore au centre du cylindre la phrase suivante: "L'école est faite pour les enfants et non les enfants pour l'école".
Désir se demanda longtemps encore pourquoi tant de mystère entourait une telle évidence.

François TEFNIN

Editorial du N° 7 d'EXPOSANT neuf, novembre-décembre 2001.